Bonjour à tous ! On est ravis de vous retrouver avec Footnotes, votre compagnon de route pour éclairer un monde complexe. Chaque semaine, on vous donne rendez-vous pour un éclairage d’actualité. Merci à Alexis Rontchevsky pour son aide dans la préparation de cette édition.
NOTA BENE | Par Thomas Veldkamp
Thomas Veldkamp est juriste de formation. Il travaille pour une ONG internationale depuis Amsterdam. Il a travaillé dans le secteur humanitaire en République centrafricaine et pour des cabinets d’avocats internationaux à Paris et New York.
Le 18 juillet 2025, Donald Trump a signé le GENIUS Act (Guiding and Establishing National Innovation for U.S. Stablecoins). Pour la première fois, les États-Unis posent un cadre clair aux émetteurs de stablecoins : enregistrement obligatoire, transparence sur les réserves, audits réguliers.
Objectif assumé : faire des stablecoins un instrument de puissance américaine et consolider la suprématie du dollar. Tether, leader du secteur, détient déjà plus de 100 milliards de dollars de bons du Trésor US — un poids qui se fait sentir sur le marché obligataire.
Les crypto-monnaies telles que le Bitcoin ou l'Ethereum sont des actifs numériques non adossés à une valeur externe — leur prix fluctue en fonction de l’offre, de la demande et des marchés.
Un stablecoin est une crypto-monnaie conçue pour garder une valeur fixe, en général adossée au dollar. Pour chaque jeton émis, l’émetteur doit détenir en face un actif sûr : dépôts bancaires, obligations d’État à court terme, parfois de l’or.
Contrairement au bitcoin, dont le cours peut s’envoler ou s’effondrer, un stablecoin comme USDT (Tether) ou USDC (Circle) vaut presque toujours un dollar. Résultat : leur valeur stable leur permet de servir de pont entre finance traditionnelle et l’univers des crypto-monnaies.
USDT (Tether) est le stablecoin le plus utilisé au monde : il maintient sa valeur fixe (1 USDT = 1 USD) grâce à des réserves composées de liquidités, de bons du Trésor américain et autres actifs détenus par Tether Limited.
Les stablecoins sont en pleine croissance :
En 2024, le volume de transactions des stablecoins a atteint $ 27 600 milliards, dépassant de 7,7 % le volume combiné des paiements effectués par Visa et Mastercard.
$ 286 milliards : leur valeur totale en circulation aujourd’hui, contre $ 1 milliard en 2018 (Kraken, 2025). Certains analystes prédisent que les encours de stablecoins pourraient atteindre entre $1 600 - 2 000 milliards d’ici quelques années.
Derrière ces chiffres, deux grands usages:
D’une part, dans la crypto-sphère, les stablecoins fluidifient les échanges sans repasser par les monnaies classiques.
D’autre part, les stablecoins s’imposent pour les transferts rapides et peu chers : migrants envoyant de l’argent à leurs familles, commerçants réglant leurs fournisseurs, épargnants cherchant refuge contre la dévaluation de leur monnaie nationale.
Les autorités financières voient dans les stablecoins à la fois une promesse et une menace :
Pour les banques : la crainte d’une fuite des dépôts vers des acteurs non bancaires.
Pour la stabilité : si un géant comme Tether devait soudain vendre ses plus de 100 milliards de dollars de bons du Trésor, cela pourrait secouer les marchés.
Pour la souveraineté monétaire : en Europe, la BCE redoute qu’un dollar numérique privé ne concurrence l’euro. Christine Lagarde, présidente de la BCE, prévenait récemment que les stablecoins risquent de devenir une monnaie privée, au risque d’un jour déloger les banques centrales. Elle souhaite donc accélérer le projet d’euro numérique, au moins pour les échanges interbancaires.
Plus généralement, les stablecoins présentent des risques :
Opacité et concentration du marché : Tether, qui représente aujourd’hui environ 70% de l’activité en stablecoin, refuse les audits complets et reste enregistré au Salvador. Sur ce marché émergent, les fragilités de quelques acteurs dominants peuvent poser un risque systémique.
Criminalité : selon un rapport de l’ONU, Tether serait devenu le canal privilégié du blanchiment d’argent en Asie du Sud-Est.
Réglementation fragmentée : alors que les États-Unis misent sur l’innovation avec le GENIUS Act, l’Europe, via le nouveau règlement MiCA, privilégie prudence et protection des déposants.
En mars 2025, Kraken, une plateforme d’échange de crypto-monnaies, a annoncé la suppression de Tether pour ses clients européens, afin de se conformer au règlement MiCA exigeant que les émetteurs de stablecoins détiennent 60 % de leurs réserves sous forme de dépôts bancaires.
Les stablecoins émergent comme un acteur majeur du système financier mondial :
Ils financent indirectement l’État américain via l’achat massif de dette publique. Les stablecoins adossés au dollar représentent toujours 98% de la valeur totale en circulation aujourd’hui.
The Economist suggère que l’afflux récent de dollars vers les stablecoins a permis de faire baisser le taux des obligations du Trésor américain.
L’enjeu dépasse la technologie : c’est une bataille géopolitique.
En s’imposant comme standard privé du dollar à l’ère des crypto, les stablecoins renforcent l’hégémonie monétaire américaine. Si leur adoption s’accélère hors des États-Unis, ils pourraient agir comme un cheval de Troie de la dollarisation : pénétrer les économies étrangères par la porte de l’innovation financière, tout en consolidant la suprématie du dollar.
Le GENIUS Act a fixé de nouveaux standards mondiaux — son effet d’entraînement pousse maintenant le reste du monde à clarifier ses intentions.