Satellites : l’autonomie européenne est encore loin

Un éclairage par Thomas Veldkamp

Footnotes
4 min ⋅ 03/06/2025

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NOTA BENE

Satellites : l’autonomie européenne est encore loin 

Thomas Veldkamp est juriste de formation, avec une expérience humanitaire sur le terrain et une maîtrise de cadres juridiques internationaux variés. 

En Septembre 2022, Elon Musk reçoit une demande des autorités ukrainiennes.  Le commandement ukrainien a perdu le contact avec ses drones maritimes déployés hors des eaux territoriales ukrainiennes.  

Les ukrainiens demandent à Musk d’activer les satellites Starlink, le plus grand réseau d'internet par satellite au monde, pour reprendre l’attaque.  Il refuse , craignant d’être complice d’un “Pearl Harbor” russe, et l’attaque échoue. 

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, l’Ukraine et ses partenaires européens s’inquiètent de leur dépendance aux technologies américaines.  Pourtant, dans le domaine satellitaire, l’autonomie européenne semble encore loin.  

Constellations incontournables 

Les communications sécurisées fournies par les constellations de nombreux satellites placés en orbite bas (LEO, pour Low Earth Orbit) sont devenues des éléments essentiels de la guerre en Ukraine.  

  • Ces satellites habilitent aussi les drones ukrainiens, désormais responsables de 60-70% des dégâts sur les systèmes russes.  

  • Leurs images en haute résolution sont devenues essentielles à la prise de décision militaire et à l'identification de cibles balistiques en territoire ennemi.

Les applications civiles sont également nombreuses, tant dans la fourniture d’internet haut débit en milieu rural que pour l’observation de la terre à des fins climatiques.

Perte de compétitivité 

Dans son rapport sur la compétitivité européenne, Mario Draghi souligne que l’Europe dispose d’une industrie spatiale de grande qualité, contributrice nette à la balance commerciale de l’UE par l’exportation de technologies avancées.

Dans le domaine des satellites, les entreprises européennes produisent des satellites de qualité, soutenues par des programmes de l’UE tels que :

  • Les 24 satellites Galileo fournissent des services GPS à 4 milliards de téléphones.

  • Le programme Copernicus permet à l’Europe de représenter 41% du marché de l’observation de la terre, rivalisant avec les Etats-Unis (42%).

Mais les investissements  européens dans l’espace sont insuffisants.  Le retard est d’autant plus grand dans la défense, où l’Europe représente une fraction des investissements américains.

Autonomisation en vue

En 2023, les investissements mondiaux dans le spatial militaire ont dépassé pour la première fois les investissements civils.  

L’UE a longtemps privilégié les applications civiles, mais plusieurs initiatives récentes suggèrent que les enjeux de défense ont fini par s’imposer, motivant une volonté croissante d’autonomisation.  

En 2024, la Commission européenne nomme pour la première fois un commissaire à la défense et à l’espace.  Le lithuanien Andrius Kubilius est chargé de déployer la stratégie de l’UE pour la défense et l’espace élaborée en 2023.

Il est aussi responsable du projet IRIS² annoncé en 2023 — la réponse de la Commission européenne à la domination d’Elon Musk dans le bas-orbite. 

  • Ce projet prévoit la création d’une constellation de 290 satellites multi-orbites pour fournir des services de communication sécurisés.

  • Fin 2024, la mise en œuvre du projet a été confiée à un consortium privé européen, composé notamment d’Eutelsat. 

  • Estimé à plus de 10 milliards d’euros, le projet ne sera toutefois pas opérationnel avant 2030.

La Commission veut aussi renforcer son dispositif d’imagerie satellitaire militaire.  Alors que les satellites Copernicus génèrent des images toutes les 24h, Kubilius veut réduire cet intervalle à des fins militaires.

Rivalités internes

La protection des intérêts nationaux demeure un obstacle majeur à une stratégie spatiale européenne consolidée. Avec plus de 800 entreprises créées pendant la dernière décennie, réparties à travers le bloc, les États membres se font concurrence.  

  • En 2024, l’Allemagne avait exprimé ses réserves envers le projet IRIS², craignant les effets sur son industrie nationale, malgré l’implication de l’entreprise allemande OHB.

  • La tentative avortée de rapprochement entre l’Italie et Starlink souligne les divisions européennes, alors que Giorgia Meloni déplorait en janvier 2025 qu’il “n’y a pas d’alternatives publiques” à Starlink.

Cette absence d’alternatives européennes s’explique pourtant par l’opposition des États membres à l’émergence d’un géant européen. En 2025, l’alliance entre Airbus, Thales et Leonardo suscite l’opposition en Allemagne, qui s’inquiète pour son industrie nationale. 

  • L’alliance, intitulée “Projet Bromo”, permettrait la création d’un géant européen du satellite — à l’image du consortium MBDA (Airbus, Leonardo, BAE Systems) pour les missiles.

  • Le projet interroge quant aux effets anti-concurrentiels sur un marché en difficulté, alors qu’Airbus et Thales ont annoncé respectivement la suppression de 2,500 et 1,300 emplois liés à l’espace.

  • En 2012, une fusion entre EADS et BAE Systems a été abandonnée faute d’accord entre les gouvernements britannique, français et allemand.  Les Etats-Unis avaient alors fait pression pour empêcher le projet.  

Gouvernance fragmentée

La concurrence entre États membres soulève surtout un problème de gouvernance.  

Aux États-Unis la politique spatiale est concentrée auprès de la NASA, fondée en 1958 et complémentée depuis 2018 par la Space Force sur les aspects militaires.  

En Europe, la gouvernance est fragmentée entre la Commission européen et l’Agence Spatiale Européenne (ASE). 

  • Créée en 1975, l’ASE est l’organisation avec les compétences les plus avancées en Europe.  Elle regroupe 22 États européens, dont trois ne sont pas membres de l’UE (UK, Norvège, Suisse), et fonctionne comme le partenaire d’implémentation technique des programmes phares de l’UE, tels Galileo et Copernicus.

  • L’ASE applique le principe du “retour géographique”, selon lequel les contributions de ses membres sont réinvesties dans leurs économies nationales — un facteur de fragmentation, selon Mario Draghi. 

A partir de 2007, le traité de Lisbonne confère à la Commission une compétence en matière spatiale.  Lorsqu’en 2021, la Commission crée l’Agence de l’UE pour le Programme spatial (EUSPA), lui conférant des responsabilités élargies, l’ASE qui y voit une volonté d’empiéter sur ses compétences.  

Pour Patrick Bolder du The Hague Centre for Strategic Studies (HCSS), “les différences entre les structures de gouvernance de l’ASE et de l’UE freinent le développement progressif” de la question spatiale dans l’UE.  Il appelle à un alignement des politiques spatiales européennes pour concurrencer les Etats-Unis, la Chine et la Russie. 

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