Un monde de célibataires

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3 min ⋅ 08/12/2025

Bonjour à tous ! Je suis Thomas Veldkamp et je suis ravi de vous retrouver avec Footnotes, votre compagnon de route pour éclairer un monde complexe.

NOTA BENE | Par Thomas Veldkamp

Un monde de célibataires

Thomas Veldkamp est juriste de formation. Il travaille pour une ONG internationale depuis Amsterdam. Il a travaillé dans le secteur humanitaire en République centrafricaine et pour des cabinets d’avocats internationaux à Paris et New York.

“Est-ce gênant d’avoir un copain ?”, se demandait cette année le magazine Vogue. Dans les pays riches, le célibat atteint des niveaux records et transforme en profondeur les rapports sociaux, économiques et intimes. 

Alors que les débats sur la démographie mettent le projecteur sur la fertilité, l’explosion du célibat mérite aussi notre attention. 

L’explosion du célibat

En 2020, le taux de célibat en France était de 39% chez les hommes, contre 32% chez les femmes. Les chiffres sont en hausse depuis les années 1960, toutes tranches d’âge confondues : 

  • 60% des 18-25 ans et 40% des 26-35 ans sont célibataires. 

  • Chez les plus de 65 ans, près de 40% sont célibataires.

Le célibat augmente notamment chez les femmes. Si les jeunes hommes sont plus souvent seuls, les femmes deviennent majoritaires dans cette catégorie après 50 ans. Conséquence de leur longévité, le nombre de femmes veuves augmente avec le vieillissement démographique. ​

Un célibat de plus en plus choisi

Plusieurs facteurs expliquent ce basculement.​​ Conditions économiques et recherche d’autonomie financière rendent plus difficile la formation de couples. Allongement des études, précarité du premier emploi, et désir de mobilité compliquent l’ancrage dans une vie à deux. 

L’émancipation des femmes dans le monde professionnel et le décrochage des hommes rend moins nécessaire le couple “de raison”.​​ 

  • Les femmes représentaient 58% des diplômés de bachelor aux Etats-Unis en 2019, contre 44% en 1972. 

  • La participation masculine au marché du travail a perdu 11 points de pourcentage entre les années 1970 (80%) et 2020 (69%) aux Etats-Unis.

Réseaux sociaux et applications de rencontre accroissent les attentes irréalistes autour du couple idéal. Sur les applications de rencontre, environ 60% des femmes activent un filtre excluant les hommes mesurant moins de 1,83 m.

Loin d’être toujours subi, on voit émerger un célibat choisi 

  • 28% des Français disent aimer être célibataires, même si la moitié espèrent toujours rencontrer quelqu’un.​ 

  • Ce célibat choisi est souvent feminin : une étude de Pew sur des adultes américains suggère que 62% des femmes ne cherchent pas à se mettre en couple, contre seulement 37% des hommes. 

La polarisation croissante entre femmes et hommes accentue ce décalage. The Economist a analysé comment les hommes et les femmes se positionnent sur une échelle politique allant de 0 (très progressiste) à 10 (très conservateur).

L’écart entre hommes et femmes de 18 à 29 ans était négligeable en 2002. En 2020, il était de presque un point, les jeunes hommes étant devenus plus conservateurs et les jeunes femmes nettement plus progressistes. En France, cet écart est même au-dessus de la moyenne.

Les racines historiques d’un phénomène singulier

La singularité du célibat en Occident n’est pas un hasard. Joseph Henrich, dans The WEIRDest People in the World, montre que l’Europe chrétienne s’est structurée depuis un millénaire et demi autour d’une vision spécifique du mariage et de l’individu. 

  • Depuis le IVe siècle au moins, l’Église proscrit avec vigueur le mariage entre cousins, affaiblissant les clans familiaux et contribuant à la dispersion et la mobilité des individus. 

  • Cette évolution a accompagné l’avènement de sociétés fondées sur l’individu plutôt que sur le groupe ; l’union amoureuse devient un choix personnel, l’identité s’affirmant avant tout hors du cadre familial.​

Dans ce contexte, la proportion de célibataires, notamment de femmes, a toujours été plus élevée en Occident (à l’ouest de la ligne de Hajnal), qui se distingue depuis plusieurs siècles par la tolérance envers la vie en solo et par la diversité des modèles de conjugalité.​

Conséquences contrastées

La fin du couple traditionnel entraîne de grandes inflexions sociales. 

  • La réduction du nombre de personnes composant un ménage (i.e., les personnes habitant dans un même logement) fait grimper la pression sur les marchés immobiliers.

  • La “taxe célibataire”, c’est-à-dire la différence du coût de la vie d’un célibataire par rapport à un couple, à revenus, impots et charges comparables, représenterait environ 10 000 euros par an dans plusieurs pays européens. 

De nombreux systèmes fiscaux et sociaux (quotient conjugal, avantages familiaux, barèmes) restent conçus pour le couple avec enfants, alors que naissances hors mariage et monoparentalité sont en hausse partout dans le monde. 

  • Les femmes étant plus nombreuses à élever des enfants seules, elles portent une charge grandissante. 

  • De nombreuses femmes veuves perçoivent des pensions de réversion, leur permettant de percevoir une partie de la retraite de leur conjoint décédé. Il n’est pas clair comment sera assurée la retraite de femmes seules ou non-mariées.

Ces décalages deviendront d’autant plus visibles à mesure que les célibataires deviennent un groupe numériquement central et que d’autres modes de relations, tels que l’amitié, gagnent en importance.​


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