Comment la crise de l’immobilier a étouffé les provinces chinoises

L’effondrement du marché immobilier et la faillite d’Evergrande ont gravement fragilisé les finances locales, mettant en lumière l’opacité et la dangerosité des montages financiers provinciaux. François Valentin fait le point sur les liens entre immobilier et finances locales en Chine.

Footnotes
3 min ⋅ 04/07/2025

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NOTA BENE

Comment la crise de l’immobilier a étouffé les provinces chinoises

Francois Valentin est le fondateur du podcast Uncommon Decency. Il est Schwarzman Scholar à l'Université de Tsinghua.

Le modèle économique chinois a longtemps reposé sur un système étonnamment décentralisé. Avec comme revers de la médaille une dette locale qui menace désormais de tout emporter.

Décentralisation à la Chinoise

La centralisation a longtemps été un sujet de dispute dans les cercles communistes. 

  • Marx et Engels se méfiaient des bureaucraties centralisées tandis que les les Léninistes pensaient qu’un Etat central fort était nécessaire pour construire la société industrielle qu’ils appelaient de leur souhait. 

  • En Chine ce débat a aussi fait rage, Mao s’amusant régulièrement de l’ultra centralisation sovietique tout en oscillant lui aussi entre un contrôle central strict sur ses provinces et la tentation de la décentralisation pour affaiblir le parti quand il le souhaitait. 

Mais à partir des années 80, la Chine bascule vers un modèle économique décentralisé du point de vue des dépenses publiques. Sans pour autant abandonner sa primauté politique, le parti a donné aux provinces chinoises et autres collectivités locales une grande latitude sur les sujets économiques pour leur permettre de générer une partie de leurs revenus et attirer des investissements. 

  • Pour se donner un ordre de grandeur, seulement 15% des dépenses publiques en Chine sont des dépenses gouvernementales, contre 49,7% chez les Américains et leur système fédéral. 

  • L’Etat central chinois donne des grandes lignes directrices économiques mais est lui-même particulièrement “maigre” en fonctionnaires avec seulement 60 000 fonctionnaires dans les ministères et autres agences selon l‘experte des finances publiques Christine Wong.

Les provinces luttent férocement les unes contre les autres pour attirer des investissements étrangers et vont régulièrement mettre en place des barrières commerciales internes pour protéger leurs propres champions industriels.

Evergrande Domino

Cette décentralisation compétitive cependant a été financée par des transferts financiers venant du gouvernement central (qui garde la main sur une grande partie des recettes, ce qui leur permet de lisser les inégalités régionales) et par la vitalité du marché immobilier.

  • Près d’un tiers des revenus locaux des collectivités locales est issu d'impôts générés par l’immobilier et le foncier, un secteur particulièrement volatil. 

  • Avec la chute du marché immobilier post-Covid, et notamment avec la faillite du promoteur immobilier géant Evergrande en 2024, ce ne sont donc pas seulement les ménages chinois qui ont trinqué, mais aussi les collectivités locales qui ont perdu pas pas loin de 3 000 milliards de RMB (c. 355 milliards d’euros) de revenus entre 2022 et 2024

D’autant plus que ces dernières ont utilisé l’immobilier pour s’endetter via les “véhicules de finances des gouvernements locaux” (VFGL), des entités créées par les autorités locales pour contourner les restrictions budgétaires imposées par Pékin afin de lever des revenus. 

  • Ces entités empruntent auprès des banques pour financer des projets d’infrastructure, notamment dans l’immobilier et s'appuient principalement sur la vente de droits d’usage du sol comme source de revenus pour rembourser leurs dettes. 

  • Des montages souvent opaques et qui sont désormais des actifs assez toxiques pour les provinces.

En 2022, on estimait que la dette locale officielle et officieuse atteignait 100% du PIB chinois, là où à titre de comparaison les autorités locales en France ne sont qu'à 8%. De plus, la dette locale pose généralement plus de risques que la dette nationale, les autorités locales n’ayant pas les mêmes capacités de financement que Pékin ni la même expertise financière.

Réformes ou Révolution

Avec 85% des dépenses publiques ayant lieu au niveau local, les conséquences de cette crise sont rapidement visibles. Les salaires des fonctionnaires arrivent dans certaines provinces avec du retard, des métros sont parfois à l'arrêt, les investissements sont repoussés. Sans compter le risque que certaines autorités locales fassent défaut sur leurs obligations.

  • Le gouvernement Chinois est donc devant un immense défi et il faut comprendre les nombreux plans de relance du gouvernement chinois des derniers mois en partie comme des tentatives de stabiliser les provinces. 

  • Il s’agit même souvent de transférer cette dette du niveau local au niveau national. Le gouvernement central étant très faiblement endetté, à hauteur de 26% du PIB il peut donc jouer les pompiers de service pour le moment.

Mais à terme, il faudra sans doute des réformes structurelles, donnant plus de latitude aux provinces non seulement pour dépenser mais aussi pour trouver de nouvelles sources de financement et ne plus dépendre autant des transferts centraux. 

Des réformes et une responsabilisation qui pressent d’autant plus avec une population qui vieillit rapidement et qui va couter cher en dépenses sociales. La Chine va donc à nouveau devoir réinventer son modèle pour trouver un nouvel équilibre entre Pékin et les autorités locales.

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