Les organismes statistiques anglo-saxons font face à une crise de confiance majeure : remise en cause de leur indépendance, vacance des postes clés et méthodes critiquées, sur fond de taux de réponse en chute libre et données de plus en plus inférées. On vous explique tout.
Bonjour à tous ! On est ravis de vous retrouver avec Footnotes, votre compagnon de route pour éclairer un monde complexe. Chaque semaine, on vous donne rendez-vous pour un éclairage d’actualité. Merci à Alexis Rontchevsky pour son aide dans la préparation de cette édition.
NOTA BENE | Par Thomas Veldkamp
Thomas Veldkamp est juriste de formation. Il travaille pour une ONG internationale depuis Amsterdam. Il a travaillé dans le secteur humanitaire en République centrafricaine et pour des cabinets d’avocats internationaux à Paris et New York.
Les institutions statistiques anglo-saxonnes traversent une crise de crédibilité sans précédent, sur fond de remise en cause de leur indépendance (aux Etats-Unis) et de problèmes méthodologiques autour de la mesure des agrégats les plus importants de l’économie.
Lors d’un sondage mené par Reuters du 11 au 24 juillet, la majorité des économistes interrogés — soit 89 sur 100 — ont exprimé des préoccupations quant à la qualité des données économiques officielles aux États-Unis, et parmi eux, 41 se sont dits “très préoccupés”.
Aux États-Unis, Donald Trump a renvoyé Erika McEntarfer, commissaire du Bureau of Labor Statistics (BLS) — première fois qu'un président licencie le dirigeant d'une agence statistique fédérale.
Le BLS publie tout d’abord des estimations mensuelles de l’emploi, sur la base d’échantillons provenant des ménages et des employeurs.
Au fur et à mesure que davantage de réponses sont reçues tardivement ou que des écarts apparaissent avec les bases de données administratives plus complètes, le BLS révise les chiffres ex-post — les chiffres définitifs sont parfois publiés plusieurs mois plus tard et de façon plus approfondie lors des révisions annuelles.
En juillet 2025, le BLS a révisé à la baisse de 258 000 emplois ses estimations, la plus forte correction hors COVID depuis 1979.
Donald Trump a accusé sans preuves Erika McEntarfer d'avoir “truqué” les données d'emploi. Elle a été remplacée par un économiste conservateur de la Heritage Foundation, critique envers les méthodes du BLS.
Un groupe d'anciens commissaires a dénoncé ces accusations “sans fondement” qui compromettent “la crédibilité des statistiques économiques fédérales”.
Au Royaume-Uni, les trois postes clés de l'Office for National Statistics (ONS) sont restés vacants plusieurs mois, après la démission de Sir Ian Diamond pour raisons de santé. L’institut est fragilisé par des problèmes méthodologiques.
Près d’un million de travailleurs auraient été “oubliés” entre 2019 et 2024, selon la Resolution Foundation.
Les données sur le marché du travail britannique ont même perdu leur accréditation officielle en 2023, après que le taux de réponse aux enquêtes est tombé à 17 %.
Aux Etats-Unis, les chiffres de l’emploi sont compilés principalement par le Bureau of Labor Statistics (BLS) via deux enquêtes mensuelles : la Current Population Survey (CPS) auprès des ménages, et l’enquête CES (Current Employment Statistics) auprès des employeurs.
La CPS interroge environ 60 000 ménages chaque mois pour déterminer la composition du marché du travail.
L’enquête CES collecte des données auprès de quelque 121 000 employeurs, avec des résultats publiés mensuellement.
L’indice des prix à la consommation américain (Consumer Price Index, CPI) est calculé par des relevés physiques et en ligne dans 75 agglomérations, couvrant un panel fixe de biens et services.
Le CPI calcule des indices pour 7 776 combinaisons article-région avant agrégation.
Quand les enquêteurs ne peuvent pas obtenir le prix d’un produit dans une ville, ils recourent à la substitution avec des produits similaires ou des données d’autres régions (des variables dites inférées), ce qui affecte la précision des indices.
Les coupes budgétaires qui ont visé les agences statistiques rendent les conditions matérielles de collecte de l’information plus difficiles. Le BLS a vu son budget réduit de 18% depuis 2009.
Pour l’emploi comme l’inflation, la pandémie a précipité une dégradation déjà amorcée des conditions de collecte des données statistiques.
Les taux de réponse aux enquêtes s'effondrent. Pour l'enquête CES (entreprises) du BLS, ce taux est passé d'environ 60% avant COVID à moins de 45% aujourd'hui.
Pour l’enquête CPS (ménages), le taux de réponse est passé de 83% en 2019 à 67% en 2025.
Une tendance similaire est observable au Royaume-Uni.
La chute des taux de réponse a conduit le BLS américain comme l’ONS britannique à se tourner de plus en plus vers des variables inférées.
Une part des données statistiques n’est donc pas directement observée ni mesurée, mais estimée à partir de données similaires.
La part des données ainsi inférées a fortement augmenté depuis la pandémie de Covid-19. Selon les chiffres du BLS analysés par The Economist, la part des prix inférés sur la base d’un produit similaire a augmenté de 8% à 16% pendant la pandémie de Covid-19. Elle a grimpé jusqu’à 30% en avril et mai 2025.
Les initiatives visant à renforcer la fiabilité des statistiques économiques intègrent notamment :
L’utilisation de nouvelles sources d’information telles que les données recueillies par web scraping et les données transactionnelles, provenant par exemple des opérations d’achat, de vente ou de paiement.
L’actualisation des méthodes de collecte et d’analyse afin de tirer parti des grandes quantités de données générées par les technologies émergentes.
Ces stratégies viennent s’ajouter à l’élargissement de la taille des échantillons, dans le but d’obtenir une vision plus représentative de la population étudiée et de réduire les biais, tels que la surreprésentation de certains groupes comme les chômeurs, qui sont souvent plus enclins à répondre aux enquêtes.
Recommendation de lecture
Vous connaissez Tech Trash? Tech Trash, c’est la newsletter bête et méchante sur l’actualité technologique, avec un oeil décalé et ironique pour prendre du recul en souriant sur l’actualité brûlante et moins brûlante des nouvelles technologies