Le secteur aérien : moteur économique, casse-tête fiscal et environnemental. Envie de comprendre pourquoi le kérosène échappe à l'impôt ou comment la France tente de limiter l’empreinte climatique des avions ?
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Le transport aérien joue un rôle important dans l’économie française mais génère d’importantes externalités négatives. Ce secteur est soumis à une tarification spécifique, visant à couvrir une partie de ses coûts sociaux, mais la couverture reste incomplète et inégale selon les types de vols. En cette période estivale, une note de la Direction générale du trésor s’intéresse au sujet.
Le secteur aérien représente 89 000 emplois en France en 2023, dont 46 000 pour Air France KLM. Il est fortement lié au tourisme et contribue au développement économique en connectant les territoires. Entre 2010 et 2024, le nombre de passagers aériens a augmenté de 42% en France.
Le secteur aérien génère des externalités environnementales négatives, dont les plus importantes sont les suivantes :
En 2024, il représente 15% des émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur des transports et 8% des émissions totales en France en 2024.
Les traînées de condensation (des nuages artificiels créés par les avions) causent un réchauffement climatique significatif. 80% de ces traînées sont générées par 3% des vols — leur formation est liée à des conditions météorologiques très spécifiques.
L’étude de la DG Trésor compare la tarification des billets par rapport aux externalités négatives produites.
La tarification des billets d’avions ne couvre en moyenne que 34% des externalités négatives. Pour 1 euro de nuisance, l’usager ne paie que 34 centimes.
La couverture des externalités est de 22% pour les très long courriers, 32% pour les long courriers, et 42% pour les court et moyen courriers.
Le prix du billet d’avion augmenterait encore significativement si les passagers devaient payer la totalité du coût (externalités comprises) du trajet.
Le secteur aérien bénéficie d’un avantage fiscal unique par rapport à d’autres modes de transport lourdement taxés sur les carburants. Cette niche fiscale encourage la préférence pour l’avion sur des distances où des alternatives existent.
Tout comme l’aviation, la marine marchande européenne bénéficie de larges exonérations de taxes sur le carburant destiné aux navires pour le transport international.
Ces niches fiscales sont fermement ancrées au niveau international et européen :
La convention de Chicago (1944) signée par 191 États interdit toute taxe dans le pays dans lequel un avion atterrit sur le carburant déjà à bord d’un avion pour les vols internationaux.
Au niveau européen, la directive sur la taxation de l’énergie (DTE) interdit la taxation du kérosène sur les vols internationaux et intra-européens. Elle permet la taxation du kérosène au niveau national sur les vols domestiques.
Les vols internationaux et intra-européens sont exemptés de TVA. Pour les vols domestiques, un taux réduit de 10% est appliqué en France.
La révision de la directive sur la taxation de l’énergie — qui aurait permis de lever progressivement l’exonération fiscale dont bénéficie le kérosène aviation — est en impasse politique depuis la dernière proposition de la Commission européenne en 2021.
Les 27 États membres peinent à s’accorder sur la mise en place d’un taux minimal commun, car l’adoption d’une telle mesure requiert l’unanimité.
L’exonération du kérosène est défendue comme essentielle à la compétitivité du transport aérien européen face aux compagnies étrangères.
Si la fiscalité du carburant représente une niche fiscale importante, les taxes représentent déjà environ 40% du prix du billet d’avion pour un vol domestique et 17% pour un vol international ou intra-européen.
Taxe sur le transport aérien des passagers (TSPA) : La TSPA inclut un “tarif de solidarité” — selon la destination et la classe : 40 € pour un vol long-courrier en classe économique, 120 € en affaires et 1 025 – 2 100 € en jet privé.
Autres taxes : Tarifs de l’aviation civile, taxe sur les nuisances sonores, taxe sur les infrastructures aéroportuaires rentables.
Ces taxes s’ajoutent aux mécanismes d’échanges ou de compensation carbone :
Marché carbone européen (ETS) : Le système d’échange de quotas d’émissions couvre les vols intra-européens depuis 2012, mais pas les vols extra-européens.
Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation (CORSIA) : Programme international de compensation carbone pour les vols extra-européens, obligatoire pour les pays membres de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) à partir de 2027. Les compagnies aériennes doivent acheter des crédits carbone pour compenser la part de leurs émissions de GES au-dessus d’un niveau de référence.
En l’absence de consensus sur la fiscalité du kérosène, d’autres leviers existent pour diminuer les externalités environnementales du secteur aérien.
Des études montrent qu’il suffit parfois de modifier légèrement l’altitude des avions (de quelques centaines de mètres) ou d’adapter ponctuellement leur route pour éviter les couches d’air propices à la formation de traînées de condensation persistantes.
En Europe, le règlement « ReFuelEU » impose une incorporation progressive de carburants d’aviation durables (Sustainable Aviation Fuels, SAF) dans les vols : 2 % dès 2025, 6 % en 2030, 20 % en 2035, jusqu’à 70 % en 2050. Ces objectifs s’inscrivent dans la stratégie de neutralité climatique à l’horizon 2050.
Les SAF regroupent les biocarburants avancés (issus de déchets, huiles alimentaires usagées, etc.) et les carburants de synthèse (« e-fuels », produits à partir d’hydrogène vert et de CO₂ recyclé). Mais il ne s’agit pas d’une panacée
Disponibilité limitée : La production européenne de SAF est aujourd’hui très faible (environ 0,1 % des besoins), et l’accès à la biomasse durable est contraint par les conflits d’usage avec d’autres secteurs (alimentaire, énergie, chimie).
Coût élevé : Les SAF coûtent 2 à 4 fois plus cher que le kérosène classique, freinant leur adoption hors obligation réglementaire.