Démographie : de la peur de la bombe à l'angoisse du déclin

La peur d’une explosion démographique s’est muée en crainte du déclin. Naissances en berne, vieillissement accéléré et déséquilibres économiques marquent un tournant mondial. Le fossé entre désir et réalité d’enfant s’explique surtout par des freins socio‑économiques.

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4 min ⋅ 13/10/2025

Bonjour à tous ! Je suis Thomas Veldkamp et je suis ravi de vous retrouver avec Footnotes, votre compagnon de route pour éclairer un monde complexe. Merci à Alexis Rontchevsky pour son aide précieuse dans la rédaction de l’édition de la semaine.

NOTA BENE | Par Thomas Veldkamp

Démographie : de la peur de la bombe à l'angoisse du déclin  

Thomas Veldkamp est juriste de formation. Il travaille pour une ONG internationale depuis Amsterdam. Il a travaillé dans le secteur humanitaire en République centrafricaine et pour des cabinets d’avocats internationaux à Paris et New York.

En France, il y a eu autant de naissances en 2024 qu’en 1806, lorsque la France métropolitaine comptait moins de 30 millions d’habitants. Le sujet démographique s’est récemment fait une place importante dans le débat public français. Mais au-delà du cas français, le vieillissement démographique est un phénomène mondial qui reconfigure les équilibres économiques et sociaux. 

De la bombe démographique à l'urgence silencieuse 

Depuis Malthus en 1798, qui prévoyait une catastrophe si la population humaine croissait plus vite que les ressources disponibles, la peur d’une “bombe démographique” a souvent ressurgi. Dans les années 1960, Paul Ehrlich anticipait dans son ouvrage “The Population Bomb” famines et chaos si la croissance démographique n’était pas maîtrisée.

Mais c’est à une dynamique inversée que nous faisons finalement face, avec des prévisions démographiques sans cesse révisées à la baisse. La probabilité que la croissance démographique mondiale cesse au XXIe siècle a été révisée de 30% à 80%, selon les estimations de l’ONU. Le pic est désormais attendu autour de 10,3 milliards d’habitants dès les années 2080, voire plus tôt. 

L'ancien premier ministre japonais, Shigeru Ishiba, a parlé d’une “urgence silencieuse”.

Cette dynamique est tirée par la dénatalité déjà en route d’un nombre croissant de pays développés et la baisse plus rapide que prévue de la natalité dans de nombreux pays émergents.   

  • En 2024, le Japon a enregistré moins de 700 000 naissances, un seuil jamais atteint depuis la fin du XIXᵉ siècle. En Italie, les naissances ont atteint en 2024 leur plus bas historique depuis l’unification en 1861.

  • Le nombre de naissances chute continuellement en Chine malgré la fin de la politique de l’enfant unique en 2015, atteignant un niveau historiquement bas en 2023. Le taux de fécondité au Brésil est passé d’environ 4 enfants par femme dans les années 1980 à 1,7 en 2023.​

Tournant démographique mondial

Derrière ces données brutes se joue un tournant historique : tandis que l’Europe, la Chine ou le Japon affrontent la raréfaction des naissances et le poids croissant des seniors, d’autres régions comme l’Inde ou l’Afrique voient leur démographie exploser.

  • Le Nigéria conserve une fécondité supérieure à 4,5 enfants par femme et sa population pourrait dépasser 400 millions d’habitants en 2050, ce qui en ferait le troisième pays le plus peuplé du monde. 

  • L’Inde, qui a déjà supplanté la Chine en 2023, connaît une baisse rapide de son taux de fécondité (autour de 2 enfants par femme aujourd’hui), mais son “momentum démographique” reste puissant : la jeunesse nombreuse continuera d’alimenter sa croissance pendant plusieurs décennies. 

Comme le note Pauline Rossi, professeure d’économie à l’Ecole Polytechnique, l’Afrique subsaharienne concentrera 80% de l’accroissement démographique mondial d’ici la fin de notre siècle.

Le décalage de fécondité 

Le seuil de renouvellement en matière de natalité désigne le nombre moyen d’enfants que chaque femme doit avoir pour assurer le maintien de la population d’une génération à l’autre, hors impact de l’immigration.​

  • Le seuil est fixé à environ 2,05 à 2,1 enfants par femme. Ce chiffre permet qu’une génération de femmes soit remplacée en effectif équivalent par la suivante. 

  • Il tient compte de la régularité biologique (il naît environ 105 garçons pour 100 filles) et de la mortalité infantile ou juvénile. 

La baisse de la natalité entraîne une diminution de la proportion de jeunes dans la population, tandis que l’allongement de la durée de vie augmente la part des personnes âgées. 

  • En Europe, au Japon ou en Chine, la part des plus de 65 ans explose. En Chine, ils devraient représenter 38 % de la population en 2050 ; en Europe, près de 30 % ; au Japon, déjà plus de 20 000 communes sont dominées par des seniors. 

  • Un ratio actifs/retraités  en diminution met sous pression les systèmes de pension, de santé et de prise en charge des dépendances.​ Cela crée aussi des tensions sur l’organisation du travail (départs massifs, pénurie de main-d’œuvre). 

Maxime Sbaihi explique que le décalage entre le désir d'enfant et la fécondité résulte principalement de contraintes économiques et sociales. 

  • Le nombre moyen idéal d’enfants souhaité reste élevé (autour de 2,3 en France), mais la fécondité réelle est bien plus basse (1,6). Selon l’expert associé à l’Institut Montaigne, ce n’est donc pas la chute du désir (une infécondité volontaire), mais l’impossibilité concrète pour les jeunes générations de réaliser leurs projets familiaux qui provoque la baisse de la natalité.

  • Les causes économiques de ce décalage entre désir d’enfant et natalité sont nombreuses :  crise du logement, précarité des jeunes entrés sur le marché du travail dans des périodes de crise, coût de la vie. 

Les politiques familiales incitatives (allocations familiales) ont globalement peu d’impact sur la natalité, même dans les pays où elles sont élevées. 

Ce sont plutôt l’accès facilité à l’éducation, à la santé et à la garde collective des enfants, ainsi que la possibilité pour les femmes de concilier carrière et maternité, qui favorisent une fécondité plus élevée dans les pays développés. ​Comme le note Pauline Rossi, la natalité est plus forte dans les pays européens où le taux d’emploi des femmes est plus élevé. 


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