L’Europe dans la course pour l’IA

En matière de numérique, l'Europe a choisi la réglementation. Les règlements phares — du RGPD au AI Act — jadis vus comme des symboles de “l’effet Bruxelles”, semblent aujourd’hui souligner l’isolement européen face aux Etats-Unis et à la Chine. 

Footnotes
3 min ⋅ 06/10/2025

Bonjour à tous ! Je suis Thomas Veldkamp et je suis ravi de vous retrouver avec Footnotes, votre compagnon de route pour éclairer un monde complexe. Merci à Alexis Rontchevsky pour son aide précieuse dans la rédaction de l’édition de la semaine.

NOTA BENE | Par Thomas Veldkamp

L’Europe dans la course pour l’IA

Thomas Veldkamp est juriste de formation. Il travaille pour une ONG internationale depuis Amsterdam. Il a travaillé dans le secteur humanitaire en République centrafricaine et pour des cabinets d’avocats internationaux à Paris et New York.

En matière de numérique, l'Europe a choisi la réglementation. Les règlements phares — du RGPD au AI Act — jadis vus comme des symboles de “l’effet Bruxelles”, semblent aujourd’hui souligner l’isolement européen face aux Etats-Unis et à la Chine. 

La Commission européenne a entamé un mouvement de simplification avec ses paquets dits “omnibus”, qui visent entre autres les réglementations sur le numérique.

“Brussels Effect”

L’Europe est à la traîne en matière d’invention et d’adoption de l’IA: 

  • Comme le rappelle le Artificial Intelligence Index Report du MIT, 40 modèles d’IA notables ont été produits aux Etats-Unis en 2024, dépassant largement la Chine (15) et l’Europe (3). 

  • Les États-Unis conservent la tête en volume, mais les modèles chinois ont nettement rattrapé leur retard en qualité : sur les grands benchmarks comme MMLU ou HumanEval, les écarts de performance sont passés de plusieurs points en 2023 à une quasi-égalité en 2024.

La réglementation n’explique pas tout le retard en la matière, mais la préférence européenne pour la norme est sous le feu des projecteurs dans le domaine numérique. 

  • Mario Draghi a appelé à une pause dans l’application de la prochaine phase de l’AI Act afin d’évaluer ses inconvénients potentiels, estimant que les nouvelles règles sur l’intelligence artificielle suscitent de l’incertitude et doivent soutenir l’innovation. 

  • Mario Draghi a également critiqué le RGPD, soulignant qu’il a augmenté de 20 % les coûts liés aux données pour les entreprises européennes par rapport à leurs concurrentes américaines. 

Dans un papier récent, Oscar Guinea explique que les restrictions réglementaires réduisent l’adoption des technologies numériques et, par ce biais, la compétitivité. Il estime que cette réduction représente 1,3 % de la valeur ajoutée européenne, soit plus de 131 milliards d’euros par an.

Usine à gaz

L'AI Act, pensé en 2021, a été bousculé par l’arrivée de ChatGPT en 2022 et par le discours alarmiste sur le danger que représenterait l’IA pour l’humanité. 

  • Le texte vise la sécurité avant tout. Plus le risque estimé pour les droits fondamentaux ou la sécurité est élevé, plus les exigences et contrôles sont stricts ; seuls les risques “inacceptables” sont purement interdits, tandis que les autres font l’objet de mesures de conformité proportionnées à leur impact potentiel.

  • Des outils éducatifs d’adaptation intelligente ou d’analyse des émotions d’un élève pourraient être interdits dans le cadre du AI Act. Pourtant l’IA a le potentiel de transformer la façon dont les étudiants apprennent en rendant l’enseignement plus personnalisé et interactif via des systèmes de tutorat intelligents. 

Comme l’écrit Luis Garicano dans l’excellent Silicon Continent : “le système byzantin censé aboutir à une ‘harmonisation’ de la législation européenne comprend un Office européen de l’IA, un comité réunissant des représentants des États membres, un panel scientifique, et un forum consultatif au niveau européen. L’application concrète des règles repose aussi sur 27 autorités nationales de surveillance du marché (une par État membre, parfois plusieurs dans les pays fédéraux comme l’Allemagne), ainsi que sur des autorités de notification chargées de superviser les organismes d’évaluation de la conformité.” (traduction Footnotes).

Préférence pour la norme

Luis Garicano, ancien eurodéputé et fin observateur du fonctionnement institutionnel européen, apporte également des réflexions pertinentes sur le sujet : 

  • La Commission et le Parlement disposent de moyens budgétaires limités : le budget de l’UE n’atteint qu’1% du RNB et l’UE ne peut lever d’impôts. Faute de pouvoir dépenser, ils légifèrent.

  • Ce mécanisme crée un biais structurel : pour progresser, un haut fonctionnaire propose de nouvelles règles, trouvant des alliés au Parlement comme au Conseil. Une fois adoptés, ces textes sont difficiles à abroger, car revenir en arrière obligerait leurs auteurs à reconnaître une erreur.

Ce biais favorise l’empilement de textes et (parfois) la fragmentation du marché unique, sans retour possible : renoncer à un projet de réglementation reviendrait à admettre l’échec d’années de tractations. 

Une fenêtre se referme

Les dispositions les plus importantes de l’AI Act n’entreront en vigueur qu’en août 2026. Même Gabriele Mazzini, principal auteur du texte, se déclare désormais “plein de doutes,” et souhaiterait “tout revoir, ou fermer simplement les trous juridiques identifiés.”

En septembre 2025, la Commission européenne a lancé un appel à contributions axé sur la simplification du corpus réglementaire à travers le futur Digital Omnibus. La Commission cible notamment la refonte des règles sur la gestion du consentement aux cookies dans le cadre du RGPD, et la réduction des charges administratives liées aux obligations de reporting. Tout n’est donc pas encore joué.


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